L'age d'Aicha: Difference between revisions

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Après avoir conclu qu’Hisham était responsable de l’histoire composée dans le hadith dont tous les autres dérivent finalement, Little a poursuivi en affirmant qu’Hisham avait entièrement inventé l’histoire, y compris les versions plus longues et la lettre de 'Urwa. Hisham a été accusé d’être un transmetteur peu fiable après son arrivée en Irak où le hadith sur sa grand-tante aurait été utile là-bas. En effet, la virginité d’Aicha au moment de son mariage et son statut d’épouse préférée de Muhammad étaient une caractéristique fondamentale des polémiques proto-sunnites contre les proto-chiites, en particulier à Koufa où ces derniers étaient dominants, et le hadith d’Hisham a dû y être très bien accueilli puisqu’il a été immédiatement incorporé dans ce matériel proto-sunnite koufan sur les vertus d’Aicha.
Après avoir conclu qu’Hisham était responsable de l’histoire composée dans le hadith dont tous les autres dérivent finalement, Little a poursuivi en affirmant qu’Hisham avait entièrement inventé l’histoire, y compris les versions plus longues et la lettre de 'Urwa. Hisham a été accusé d’être un transmetteur peu fiable après son arrivée en Irak où le hadith sur sa grand-tante aurait été utile là-bas. En effet, la virginité d’Aicha au moment de son mariage et son statut d’épouse préférée de Muhammad étaient une caractéristique fondamentale des polémiques proto-sunnites contre les proto-chiites, en particulier à Koufa où ces derniers étaient dominants, et le hadith d’Hisham a dû y être très bien accueilli puisqu’il a été immédiatement incorporé dans ce matériel proto-sunnite koufan sur les vertus d’Aicha.
===Autres considérations===
===Autres considérations===
Dans son livre de 2017, ''Minor Marriage in Early Islamic Law'', Carolyn Baugh a évoqué une explication différente au sujet du mutisme juridique médinois sur l’âge d’Aicha et la non-utilisation du hadith par de nombreux savants ultérieurs. La loi malékite était basée en grande partie sur la coutume de la communauté médinoise, bien que parfois des anecdotes sur les compagnons aient été utilisées pour faire valoir des points spécifiques. Contrairement à Little, Baugh doute de l’utilité du hadith d’Aicha à des fins juridiques.<ref>Baugh writes: "Although it is not impossible that Malik would have accepted the content of the report given early practice, Malik is one of many jurists who did not rely on the text, which does not in fact occur in any of the early books of jurisprudence except for that of al-Shafi'i and, shortly after him, 'Abd al Razzaq's Musannaf. Even later jurists such as Ibn Taymiya and Ibn al-Qayyim shy away from it, although it is used by Ibn Qudama before them. Presuming its authenticity (it occurs in Bukhari and Muslim), questions occur such as, was 'A'isha in fact compelled against her will? Can we assume that Abu Bakr did not consult her? Had she, at age nine, entered her majority or was she still prepubescent?"
Dans son livre de 2017, ''Minor Marriage in Early Islamic Law'', Carolyn Baugh a évoqué une explication différente au sujet du mutisme juridique médinois sur l’âge d’Aicha et la non-utilisation du hadith par de nombreux savants ultérieurs. La loi malékite était basée en grande partie sur la coutume de la communauté médinoise, bien que parfois des anecdotes sur les compagnons aient été utilisées pour faire valoir des points spécifiques. Contrairement à Little, Baugh doute de l’utilité du hadith d’Aicha à des fins juridiques.<ref>Baugh écrit : "Bien qu'il ne soit pas impossible que Malik ait accepté le contenu du rapport étant donné la pratique précoce, Malik est l'un des nombreux juristes qui ne se sont pas appuyés sur le texte, lequel n'apparaît en fait dans aucun des premiers livres de jurisprudence à l'exception de celui d'al-Shafi'i et, peu après lui, du Musannaf d'Abd al Razzaq. Même des juristes ultérieurs tels qu'Ibn Taymiya et Ibn al-Qayyim s'en éloignent, bien qu'il soit utilisé par Ibn Qudama avant eux. En supposant son authenticité (on le trouve dans Bukhari et Muslim), des questions se posent comme est-ce qu'A'icha a été forcée contre sa volonté ? Peut-on supposer qu’Abu Bakr ne l’ait pas consultée ? Avait-elle, à neuf ans, atteint sa majorité ou était-elle encore prépubère ↵Carolyn Baugh, ''Minor Marriage in Early Islamic Law'', Leiden: Brill, 2017, p. 43 note 101en bas de page↵De même, à la p. 62 elle explique pourquoi les implications juridiques du hadith sont obscures.</ref> Les juristes malékites à Médine et les juristes hanafites à Koufa n’ont pas cherché à prouver qu’un père pouvait contracter sa fille mineure vierge en mariage, qui était considérée comme acquise.<ref>Au chapitre 4, elle détaille les textes de référence utilisés par les juristes malékites; voir p. 79 concernant les juristes hanafites.</ref> Ils ont au contraire discuté du droit d’un père de la contraindre sans consultation, de savoir s’il avait toujours ce droit quand elle n’était plus vierge ou mineure, si elle avait le droit de l’annuler plus tard et ainsi de suite. En effet, contrairement à divers rapports sur les compagnons utilisés par les savants malékites et mis en évidence par Baugh, le hadith d’Aicha ne semble d’aucune utilité pour les domaines de désaccord juridique ou les points pour lesquels ils ont ressenti le besoin de prouver (voir [[Child Marriage in Islamic Law]]). Shâfi'î est le premier juriste à utiliser le hadith d’Aicha sur l'âge du mariage (et plus généralement a innové le Coran et le corpus de hadiths solides comme sources décisives du droit). Il a utilisé le hadith d'Aicha dans le but de prouver le droit d'un père à marier sa fille indépendamment de ses souhaits, bien qu'il ait dû lire dans ses propres hypothèses pour le faire (voir [[Forced Marriage]])<ref>Voir aussi les citations dans la thèse du Dr Little, pp. 454-5, où l’on peut voir Shafi’i utiliser le hadith pour tenter de prouver le droit à la contrainte paternelle.</ref>. Les savants ultérieurs ont suivi Shâfi'î dans cet usage. Cependant, le hadith d’Aicha se contente simplement d’affirmer que son mariage a été contracté quand elle avait six (ou sept ans), et il ne précise pas si elle a été consultée ou forcée par son père, ni même si elle avait atteint la puberté à neuf ans.
Carolyn Baugh, ''Minor Marriage in Early Islamic Law'', Leiden: Brill, 2017, p. 43 footnote 101
Similarly, on p. 62 she elaborates why the legal implications of the hadith are obscure.</ref> Les juristes malékites à Médine et les juristes hanafites à Koufa n’ont pas cherché à prouver qu’un père pouvait contracter sa fille mineure vierge en mariage, qui était considérée comme acquise.<ref>In Chapter 4 she details the proof-texts used by Maliki jurists; see p. 79 regarding Hanafi jurists.</ref> Ils ont au contraire discuté du droit d’un père de la contraindre sans consultation, de savoir s’il avait toujours ce droit quand elle n’était plus vierge ou mineure, si elle avait le droit de l’annuler plus tard et ainsi de suite. En effet, contrairement à divers rapports sur les compagnons utilisés par les savants malékites et mis en évidence par Baugh, le hadith d’Aicha ne semble d’aucune utilité pour les domaines de désaccord juridique ou les points pour lesquels ils ont ressenti le besoin de prouver (voir [[Child Marriage in Islamic Law]]). Shâfi'î est le premier juriste à utiliser le hadith d’Aicha sur l'âge du mariage (et plus généralement a innové le Coran et le corpus de hadiths solides comme sources décisives du droit). Il a utilisé le hadith d'Aicha dans le but de prouver le droit d'un père à marier sa fille indépendamment de ses souhaits, bien qu'il ait dû lire dans ses propres hypothèses pour le faire (voir [[Forced Marriage]])<ref>See also the quotes in Dr Little's thesis, pp. 454-5, where Shafi'i can be seen using the hadith in an attempt to prove the right of paternal compulsion.</ref>. Les savants ultérieurs ont suivi Shâfi'î dans cet usage. Cependant, le hadith d’Aicha se contente simplement d’affirmer que son mariage a été contracté quand elle avait six (ou sept ans), et il ne précise pas si elle a été consultée ou forcée par son père, ni même si elle avait atteint la puberté à neuf ans.


Le cas du Dr Little est néanmoins solide en déclarant que c’est Hisham qui a formulé le ou les hadiths sur l'âge du mariage d'Aicha en Irak et que d'autres en ont dérivé leurs versions. Il fournit également une motivation plausible pour Hisham d’avoir entièrement inventé l’histoire. Toutefois, d’autres peuvent pointer vers quelques traditions qui ne dépendent pas de ce hadith et qui peuvent soutenir la possibilité d’un fond de vérité historique. Le hadith mentionné plus haut dans la section Citations pertinentes concernant l’incident de la calomnie (al-Ifk) n’implique pas Hisham et souligne qu’Aicha n’était alors "qu’une jeune fille", bien que l’historicité de cela puisse aussi être mise en doute étant donné les considérations polémiques autour de l’événement.
Le cas du Dr Little est néanmoins solide en déclarant que c’est Hisham qui a formulé le ou les hadiths sur l'âge du mariage d'Aicha en Irak et que d'autres en ont dérivé leurs versions. Il fournit également une motivation plausible pour Hisham d’avoir entièrement inventé l’histoire. Toutefois, d’autres peuvent pointer vers quelques traditions qui ne dépendent pas de ce hadith et qui peuvent soutenir la possibilité d’un fond de vérité historique. Le hadith mentionné plus haut dans la section Citations pertinentes concernant l’incident de la calomnie (al-Ifk) n’implique pas Hisham et souligne qu’Aicha n’était alors "qu’une jeune fille", bien que l’historicité de cela puisse aussi être mise en doute étant donné les considérations polémiques autour de l’événement.


Une tradition indépendante plus significative a pu, selon Little, remonter provisoirement à l’historien médinois Ibn Shihab al-Zuhri (mort en 124 AH). Le hadith d’Al-Zuhri, qui a dû être transmis alors qu’il était à Médine, indique que le Messager de Dieu a épousé Aicha bint Abu Bakr durant le mois de Chawwal dans la dixième année après la prophétie, trois ans avant la migration, et qu’il a organisé la fête pour le mariage à Médine (c.-à-d. pour la consommation) pendant Chawwal, seulement huit mois après son émigration à Médine. Little spécule qu’Hisham a choisi neuf ans comme âge de consommation et a utilisé cet écart de trois ans entre le mariage d’Aicha et la consommation pour déterminer l’âge qu’elle avait à son mariage, soit six ou sept ans.<ref>See 1 hour 38 minutes in Dr. Joshua Little's lecture entitled [https://www.youtube.com/watch?v=zr6mBlEPxW8&t=2s The Hadith of ʿAʾishah's Marital Age: A Study in the Evolution of Early Islamic Historical Memory] - youtube.com, 26 February 2023
Une tradition indépendante plus significative a pu, selon Little, remonter provisoirement à l’historien médinois Ibn Shihab al-Zuhri (mort en 124 AH). Le hadith d’Al-Zuhri, qui a dû être transmis alors qu’il était à Médine, indique que le Messager de Dieu a épousé Aicha bint Abu Bakr durant le mois de Chawwal dans la dixième année après la prophétie, trois ans avant la migration, et qu’il a organisé la fête pour le mariage à Médine (c.-à-d. pour la consommation) pendant Chawwal, seulement huit mois après son émigration à Médine. Little spécule qu’Hisham a choisi neuf ans comme âge de consommation et a utilisé cet écart de trois ans entre le mariage d’Aicha et la consommation pour déterminer l’âge qu’elle avait à son mariage, soit six ou sept ans.<ref>Voir 1 heure 38 minutes dans la conférence du Dr Joshua Little intitulée [https://www.youtube.com/watch?v=zr6mBlEPxW8&t=2s The Hadith of ʿAʾishah's Marital Age: A Study in the Evolution of Early Islamic Historical Memory] - youtube.com, 26 février 2023
For detailed discussion see pp. 373-74, 378-82, 460-61 of Dr Little's thesis.</ref> D’autres remarqueront peut-être une autre signification à cette tradition d’Al-Zuhri apparemment antérieure. L'écart de trois ans entre le mariage et la consommation qui y est mentionné, sans fonction polémique évidente (aucun âge n’est indiqué), implique probablement et indépendamment qu’Aicha était une enfant à l’époque.
Pour une analyse détaillée, voir pp. 373-74, 378-82, 460-61 de la thèse du Dr Little.</ref> D’autres remarqueront peut-être une autre signification à cette tradition d’Al-Zuhri apparemment antérieure. L'écart de trois ans entre le mariage et la consommation qui y est mentionné, sans fonction polémique évidente (aucun âge n’est indiqué), implique probablement et indépendamment qu’Aicha était une enfant à l’époque.
===Conséquences plus générales===
===Conséquences plus générales===
Alors que l’ICMA de Little "révèle une accumulation d’erreurs, de corruptions, d’interpolations, d’emprunts et de fausses attributions", la "majorité écrasante des supposés [liens communs partiels] et [liens communs] dans le hadith sur l'âge du mariage s'est avérée être des sources authentiques dont les rédactions distinctives étaient identifiables et (dans une certaine mesure) reconstituables. De tels résultats positifs ne remontent cependant qu’au milieu du 8ème siècle de notre ère : avant cette date, les preuves étaient soit insuffisantes, soit carrément incompatibles avec une transmission authentique et précoce."<ref>pp. 400-401 de la thèse du Dr Little</ref>
Alors que l’ICMA de Little "révèle une accumulation d’erreurs, de corruptions, d’interpolations, d’emprunts et de fausses attributions", la "majorité écrasante des supposés [liens communs partiels] et [liens communs] dans le hadith sur l'âge du mariage s'est avérée être des sources authentiques dont les rédactions distinctives étaient identifiables et (dans une certaine mesure) reconstituables. De tels résultats positifs ne remontent cependant qu’au milieu du 8ème siècle de notre ère : avant cette date, les preuves étaient soit insuffisantes, soit carrément incompatibles avec une transmission authentique et précoce."<ref>pp. 400-401 de la thèse du Dr Little</ref>
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